Quand la démocratie rencontre la Pop culture

Découvrez l’entretien de Frank Escoubès, Co-fondateur et Co-président de bluenove et auteur du livre Pop démocratie : la démocratie est (aussi) une fête, et plongez dans la pop démocratie. Une démocratie populaire et quotidienne, « hors des murs » institutionnels pour retrouver l’esprit des jours heureux.

 

 

 

Pop démocratie, en une phrase, c’est quoi ?

 

Pop démocratie, c’est un appel à une démocratie plus culturelle qu’institutionnelle. Une démocratie qui s’appuierait sur la pop culture pour entrer dans le quotidien des gens.

 

 

Qu’est-ce qui t’as poussé à écrire ce livre ?

 

Élection après élection, nous vivons un décrochage démocratique, avec la montée inexorable de l’abstentionnisme, de la dépolitisation et des populismes. Est-il sérieux d’imaginer que les mêmes actions finiront par produire des résultats différents ? Cela s’appelle la folie, disait Einstein.

Il est donc temps de changer le fusil d’épaule, et vite. Les tentatives de démocratie participative ont été nombreuses ces dernières années, mais elles ont presque toutes avorté. Après le Grand Débat National et la Convention Citoyenne sur le Climat dont les résultats politiques sont catastrophiques, combien de cartouches reste-t-il dans le barillet ? Le CNR et la Convention sur la fin de vie permettront-ils de « corriger le tir » ? C’est peu probable. Il faut alors voir le problème différemment.

 

 

Qu’est-ce que la démocratie festive ou la pop démocratie ?

 

Je préfère le terme de pop démocratie à celui de démocratie festive. Car si la démocratie a besoin d’être plus joyeuse et conviviale, il est facile pour un détracteur de déconsidérer une démarche qui s’appuierait exclusivement sur la notion de « fête », jugée anecdotique et hors-sol. Non, la pop démocratie, c’est d’abord et avant tout une démocratie devenue « objet culturel ».

La démocratie évolue depuis trop longtemps dans une bulle à part, au Palais Bourbon, au Sénat et au « Château ». Elle est cette pratique élitaire, inaccessible et mystérieuse, entre tractations et argutie juridique. Elle est une mécanique froide, technique et procédurière. Même quand elle se pique de « participation citoyenne », elle ne sait pas décomplexifier. La moindre Convention citoyenne est une usine à gaz en matière d’organisation, qui finit par produire des super-citoyens tirés au sort, nos nouveaux « saints laïcs ». Même la démocratie locale n’est plus qu’affaire de Commissions, de droit de pétition, de droit à la consultation… C’est une démocratie des « instances » alors qu’on désespère de faire naître une démocratie des « attentions ».

Est-ce tenable dans un contexte de défiance maximale des citoyens ? Certainement pas ! Retrouvons urgemment de la spontanéité, de l’improvisation, de la candeur, et revenons aux sources de la « Démocratie aux marges », comme le formulait David Graeber (l’auteur des « bullshit jobs »).

Pour cela, je fais un pari pascalien : faire sortir la démocratie des limites du Gouvernement, du Parlement et des grands rituels républicains (élections, débats télévisés, sondages)… Pour s’appuyer sur la pop culture, cette culture populaire aimée et comprise par tous : cinéma, séries télé, roman, BD, musique, humour, photo, festivals, street art, etc. Ce n’est pas en se mobilisant tous les cinq ans autour d’un débat télévisé sur France 2 que nous fabriquerons une « culture démocratique ». C’est bien davantage en se passionnant pour la BD de Jancovici et Blain (meilleure vente de livre en France en 2022), en regardant d’un œil terrifié ou scandalisé la série « Black Mirror » ou le film « Don’t look up », ou en étant percuté par les paroles du dernier Orelsan. Et ce autant de fois qu’il y a d’occasions de croiser culture et sens.

La pop culture nous fait prendre conscience que ce que nous vivons dépasse notre situation particulière (@metoo par exemple). Et elle nous aide à conscientiser par les ressentis et les émotions un problème social ou sociétal que nous ignorons faute d’y être exposé. En cela, elle est un outil indépassable de la politique.

 

 

Et les petits corners de la démocratie, c’est quoi ?

 

C’est comme dans un grand magasin : quand on entre, on est directement exposé à des petits corners à taille humaine, où se crée le lien social. Ce ne sont pas les grandes verrières ou les colonnes néo-classiques qui nous accueillent, ce sont bien ces micro-lieux où s’effectuent la conversation et la « transaction ». Eh bien, la pop démocratie, c’est aussi une révolution des lieux ! Elle consiste à créer une démocratie du quotidien, buissonnière, « hors les murs », loin des bâtiments institutionnels et des cadres imposés.

Concrètement, il s’agit d’ouvrir des petits « corners démocratiques », partout où les gens vivent, travaillent, se déplacent, se divertissent. En voici 10 catégories, mais la liste peut s’allonger : centres commerciaux, gares, parcs urbains, places publiques, bureaux de poste, tiers lieux, cafés, librairies, cinémas et maisons de retraite. Car multiplier les cercles d’hospitalité de la démocratie, c’est augmenter notre surface de peau en contact avec l’intérêt général.

 

 

Un rêve pour 2027 ?

 

En faire une cause nationale ! Celle d’une refondation massive de la démocratie populaire à horizon 2027, afin de préparer le scrutin de tous les dangers. Comment ? En expérimentant, pendant les 4 prochaines années, ces 10 catégories de petits corners partout en France, des centres Leclerc aux cinémas Pathé, des FNAC aux gares SNCF, et en faisant émerger les « formats » qui fonctionnent. Quel beau panorama que ces nouvelles « places publiques » où naîtraient mille et une formes de « conversation démocratiques », pour mieux se comprendre, se raconter, témoigner, interpeller, imaginer, et se mobiliser autour de causes à mettre à l’agenda des assemblées locale, nationale ou européenne… Parce qu’il n’est jamais trop tard quand il est question de combat culturel.