Et si chaque collectivité en France se dotait d’une raison d’être en 2020 ?

Le 22 mars prochain, à l’issue des élections municipales, une nouvelle « promotion » de maires s’installera en France. Certains continueront leur action en conservant la confiance des électeurs. D’autres tenteront d’apporter un nouvel élan au sein de leur commune. Nous serons alors en 2020. Avec comme double défi de gérer d’une part le quotidien et d’autre part d’anticiper et répondre aux grandes transitions : démographiques, environnementales, citoyennes, sociétales…

Cette nouvelle génération d’élus aura la responsabilité historique d’agir de manière plus volontariste pour résoudre les grands défis de leur ville et plus largement de leur territoire.

Pour cela, leur action doit nécessairement s’inscrire dans un horizon moyen-long terme. Il n’est plus envisageable de définir un programme d’action publique sur la temporalité d’un seul mandat, à savoir sur 6 petites années. La direction donnée est, par le passé, restée trop dictée par le rythme des élections et ne permet pas suffisamment de se projeter sur des horizons dépassant 10, 20 et même 30 ans. Surtout quand on sait que la première année est souvent celle de la mise en route et la dernière dédiée à la prochaine campagne municipale.

Pour définir cet horizon à 20-30 ans, on peut faire le parallèle avec la révolution à l’oeuvre actuellement dans les entreprises. La Loi Pacte (plan d’actions pour la croissance et la transformation des entreprises) permet de redéfinir le rôle des entreprises dans la société. Cette loi souligne que l’entreprise « est gérée dans son intérêt social et en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Elle peut ainsi intégrer dans ses statuts une raison d’être.

Et si cette vague à l’oeuvre actuellement dans le secteur privé s’appliquait également aux acteurs publics, et en premier lieu à chaque commune de France ? Je propose donc que chaque commune se dote d’une raison d’être propre.  Et encore mieux, qu’elle soit co-construite avec l’ensemble des parties prenantes : agents, élus, citoyens, usagers, commerçants, entreprises…

L’idée de base est la suivante : bâtir un socle intangible d’orientations, non négociable et qui ne puisse être remis en cause par un quelconque changement de majorité au sein d’une collectivité. Comme une sorte de boussole pour chaque équipe municipale en place aujourd’hui et demain.

En tant que collectivité, se doter d’une raison d’être revêt plusieurs bénéfices :

  • Fédérer les acteurs du territoire autour d’une vision commune, mettre en lien et en dialogue les différentes générations,
  • S’informer et se former collectivement sur les enjeux et transitions du 21e siècle et comprendre le rôle de l’échelon local dans la réponse à ces défis.
  • Conscientiser les éléments de singularité de la ville : qu’est-ce qui lui est propre ? Quoi dans son histoire ne lui appartient rien qu’à elle ? Qu’est-ce qui est caractéristique en termes de culture ? Qu’est-ce qui manquerait le plus si la ville disparaissait ?
  • Apporter des réponses concrètes sur des sujets trop souvent oubliés : la préservation de la biodiversité, la lutte contre le réchauffement climatique, la création de bien communs, le vivre ensemble, l’attractivité du territoire, les coopérations durables entre collectivités limitrophes, la création culturelle…
  • Identifier ce qui fait et surtout ce qui ne fait pas consensus dans la population(clivages/dilemmes), car il est évident que cet exercice doit être tout sauf un véhicule d’une pensée unique.
  • Donner un cadre de référence à l’action : politique et citoyenne. Ainsi qu’à l’évaluation des politiques publiques en intégrant de nouveaux indicateurs liés à la contribution à la raison d’être.
  • Donner dans le même temps un cadre opposable par les citoyens en cas de dérive des orientations politiques. Cela permettrait de redonner en quelque sorte du pouvoir aux citoyens.

Alors comment faire concrètement ? A la manière de nombreux grands groupes comme EDF, Veolia ou Axa : en mobilisant l’intelligence collective de leurs parties prenantes avec des démarches d’écoute et de co-construction. Les méthodes et les outils numériques existent pour engager le dialogue à grande échelle, analyser et restituer un grand volume de contributions (à l’image de ce qui a été fait dans le cadre du Grand Débat National) et permettre aux dirigeants de ces entreprises de décider in fine de la raison d’être à adopter.

En somme, ce « Grand Débat Local » est l’occasion pour les collectivité de se donner une direction commune, de créer un nouveau récit collectif pour basculer pleinement dans le 21è siècle et décorreler une partie de l’action politique du rythme imposé par les élections avec l’émergence de « nouvelles missions de service public ».

Et rêvons un peu tant qu’on y est : si la dynamique prend au niveau local, pourquoi ne pas envisager de réaliser un grand exercice au niveau national de définition de la raison d’être de la France ! Une fois encore, la France serait pionnière dans l’Histoire de la démocratie.

Crédit photo : Stratégie collectivités 2022 © Ademe