démocratie

Tribune – Quelle « méthode refondée » pour les cinq ans à venir ?

Tribune publiée par Frank Escoubès dans l’Obs. 

 

TRIBUNE. Pour l’entrepreneur Frank Escoubès, la « nouvelle méthode » promise par Emmanuel Macron doit éviter les « vieilles lunes démocratiques » et dépasser les insuffisances du grand débat et de la Convention citoyenne pour le Climat.

C’en est presque drôle. A peine le président Emmanuel Macron nouvellement élu a-t-il annoncé lors de son discours de victoire au Champ-de-Mars « l’invention collective d’une méthode refondée » de gouvernance que la sphère médiatico-politique s’emballait. Face à une volonté déclarée d’apaisement, d’écoute et de coconstruction avec les Français, c’est l’ensemble des vieilles lunes démocratiques qui ont soudainement illuminé l’horizon de la twittosphère et des chaînes d’information continue.

1.

La participation, et non pas la démocratie directe

Il est d’abord navrant que soient systématiquement confondues, dans la bouche des ex-candidats, des ministres putatifs et des éditorialistes chevronnés, démocratie « participative » et démocratie « directe ».

Plus de démocratie « participative » signifie davantage de consultation citoyenne et de concertation avec les Français. Il n’y est jamais question de codécision. Les mots ont leur importance, le flou finit tôt ou tard par alimenter les colères dans la rue. Il s’agit donc, dans une démarche participative classique, d’écouter les ressentis, les besoins, les attentes, les préoccupations et les (ébauches de) solutions des citoyens pour aider à la décision, c’est-à-dire faciliter les arbitrages futurs, ceux du gouvernement comme des parlementaires.

La démocratie « directe » est d’une tout autre nature : c’est un mécanisme connu – et très peu usité dans les faits – qui implique de soumettre au vote populaire telle réforme ou mesure de politique publique, en donnant au citoyen le pouvoir de décider en dernier ressort. Son mode opératoire – le référendum – est simple et tranchant. Or, force est de constater que cette confusion a la couenne dure : ainsi des appels au peuple de Marine Le Pen, qui prône une « révolution référendaire » par la généralisation du référendum d’initiative citoyenne. Ce fameux RIC, plébiscité par les « gilets jaunes », qui consiste à soumettre au vote des Français toute proposition de loi qui obtiendrait plus de 500 000 signatures citoyennes. Il y a fort à parier que la perspective d’un Brexit permanent soit peu compatible avec le style de la macronie, et l’on doit certainement s’en réjouir.

Donc de référendum systématique, urbi et orbi, il ne devrait pas être question dans cette « méthode refondée » présidentielle. Il s’agira de faire du participatif, et non (ou par pure exception) de la démocratie directe. Recommandation numéro un.

2.

Eviter les « simples et réductrices » conventions citoyennes

Seconde confusion dans l’ordre d’apparition des vieilles lunes : celle consistant à considérer que la démocratie participative doit nécessairement trouver à s’incarner dans une convention ou une assemblée citoyenne. On devrait pourtant avoir appris la leçon depuis la trop fameuse CCC (Convention citoyenne pour le Climat) organisée par le président sortant. Opter pour davantage d’horizontalité dans la culture politique de ce pays ne suppose pas de remplacer notre système parlementaire représentatif et ses 577 députés par un entre-soi citoyen constitué de 150 personnes tirées au sort. Augmenter demain le nombre de ces derniers ne résoudrait d’ailleurs pas le problème : la démocratie participative à construire est une démocratie des parties prenantes, donc une démocratie fondée sur une expertise plurielle, qui ne consiste pas à remplacer des représentants élus professionnels (les députés) par des représentants non élus profanes (les tirés au sort).

Précision importante, les parties prenantes sont composées de l’ensemble des acteurs concernés par la politique publique en question : professions et corps de métiers, corps intermédiaires et syndicats, associations et ONG, territoires et élus locaux, ainsi que les citoyens. Pour les Etats généraux de la Justice, dernière expérimentation en date en matière concertative, il s’est agi – et à juste titre – de mobiliser massivement les magistrats, les greffiers, les avocats, les forces de sécurité intérieure, les justiciables comme vous et moi, et même les détenus dans les maisons d’arrêt, qui sont concernés au premier chef, représentant au total 1 million de contributions.

De quoi inspirer la nouvelle « méthode » présidentielle, priorité étant mise sur les concertations multiparties prenantes, et non sur de simples et réductrices conventions citoyennes. Recommandation numéro deux.

3.

« Négociation participative »

Troisième confusion dans ce tiercé sémantique, celle laissant accroire que toutes les politiques publiques se ressemblent et que face à une kyrielle de clous, un seul marteau ferait l’affaire. Autrement dit, que le dispositif démocratique providentiel serait identique quel que soit le sujet traité. Or, il est évident que l’on n’aborde pas la question de la fin de vie de la même façon que la réforme du système de santé ou les nécessaires mutations de l’école.

Si le président Emmanuel Macron a bien annoncé a minima trois « concertations » d’envergure sur ces trois sujets, il faut s’attendre à des modalités très différentes. Choisir sa mort (après que deux années de Covid nous ont collectivement incités à choisir la vie) relève évidemment de questionnements intimes en même temps que de préceptes moraux. La complexité d’un tel débat tient au caractère vertigineux des questions morales et spirituelles sous-jacentes, mais les conséquences d’un changement sociétal en la matière ne sont pas de nature aussi systémique qu’un bouleversement, disons, de notre modèle écologique et énergétique. Il est dès lors légitime de considérer que l’avis des citoyens – en leur âme et conscience – prime sur d’éventuels paramètres techniques de mise en œuvre (même si rien n’est jamais simple face à une telle décision) et qu’une concertation sur l’euthanasie active, passive ou assistée aura pour barycentre une consultation citoyenne à la fois large (massive, en partie digitale et si possible représentative) et profonde (sous la forme d’une convention citoyenne argumentée faisant le pari du temps long pour assurer des délibérations de qualité). Un référendum pourrait même être envisagé, à l’image de celui organisé avec succès en Irlande sur l’avortement en 2018, considéré comme « le genre de scrutin qui vous réconcilie avec les référendums ».

Rien de comparable pour les concertations à venir sur la santé ou l’école, les points de vue des citoyens ne pouvant être considérés comme suffisants, à côté de l’avis des acteurs métiers des différents écosystèmes concernés. Dans le cas par exemple de la santé, il serait inconcevable de ne pas déployer une concertation sur l’ensemble des territoires (urbains, périurbains, déserts médicaux, DOM-TOM, etc.), réunissant l’ensemble des parties prenantes de la filière (médecins, infirmières, aides-soignants, personnels administratifs, associations de patients, etc.), avec l’ensemble des instances de concertation spécialisées en démocratie sanitaire.

On ne peut donc que suggérer, dans la nouvelle « méthode »présidentielle, le principe d’une « négociation participative » au plus près des territoires, sur un temps long et au travers de « conférences de convergence » incluant toutes les parties prenantes y compris les parlementaires et les élus locaux afin d’acter les compromis les plus délicats. Recommandation numéro trois.

4.

Conclusion ?

Cette « méthode refondée » n’est pas un Graal démocratique unique, mais un ensemble de dispositifs ad hoc cherchant à dépasser les insuffisances dorénavant connues du grand débat et de la Convention citoyenne pour le Climat, qui ont confiné à l’entre-soi citoyen sans débouché politique substantiel. Ce réflexe participatif du président Emmanuel Macron tranche avec la perception des Français. Il relève néanmoins d’une stricte nécessité pour tenir cinq années de plus. Il en va du pouvoir d’agir demain dans un contexte social au paroxysme des tensions. Le changement de méthode ne pourra en outre se concevoir sans un aggiornamento institutionnel préfigurant une autre place pour la société civile et une autre architecture de pouvoir pour nos représentants élus. Ainsi, pour éviter le sentiment de la part des citoyens d’être dessaisis de leur parole au moment des arbitrages, la question d’une dose de proportionnelle à l’Assemblée nationale doit être posée.

 

Tribune publiée par Frank Escoubès dans l’Obs.