Les Rencontres nationales de la participation 2020, version 2.0

Habituée des Rencontres Nationales de la Participation (RNP), j’ai expérimenté le suivi 100% à distance de cette édition 2020 à Mulhouse autour de “La démocratie bousculée”. Ce rendez-vous incontournable permet de se mettre à jour sur l’actualité démocratique et de prendre la température quant au moral des troupes. Bien plus qu’un “marronnier”, les RNP sont l’occasion d’écouter les travaux de recherche et de faire le point sur les évolutions institutionnelles en cours, de connaître les projets des élus en charge de la démocratie, ou encore de se faire “pitcher” les nouveaux “produits” par la Civictech…. Découvrez les RNP comme si vous y étiez !

 

À l’heure de la « vague », les « hirondelles » face aux « falaises »

 

À la plénière d’ouverture, l’état des lieux de la participation rend compte de la profusion des initiatives participatives. La Présidente de la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), Chantal Jouanno, recense sept fois plus de saisine qu’auparavant pour accompagner des démarches volontaristes ou obligatoires.

Pour le professeur et chercheur Loïc Blondiaux, la vague délibérative se heurte néanmoins à certaines « falaises ». Ces résistances sont plutôt bon signe : le système représentatif est contraint à l’évolution, la démocratie participative réussit à s’imposer alors qu’elle était auparavant raillée. Bertrand Pancher, Président de Décider ensemble, “La démocratie est plus que bousculée”. Il reste toutefois optimiste et souligne que les crises sont “une grande opportunité de changer de méthodes” puis rend hommage dans son allocution aux 500 professionnels sur place : “Les hirondelles qui annoncent le printemps (de la transformation démocratique), c’est vous !”.

 

 

 

“Être bousculés ne peut que nous faire progresser. La démocratie participative est un entraînement. Nourrir le désir de sens permet de faire fructifier l’action publique ».

Eric Piolle, Maire de Grenoble

 

La Convention citoyenne pour le climat, nouveau modèle ?

 

Gilets jaunes, Grand débat national, réforme des retraites, Convention citoyenne pour le climat, crise sanitaire, élections municipales : l’actualité démocratique est riche, mais souffre du manque de débouchés concrets. Pour le chercheur spécialiste du community organizing, Julien Talpin, « L’important n’est pas de participer ! » : la participation n’est pas une fin en soi et doit avant tout provoquer un sentiment de partage du pouvoir chez les citoyens pour avoir de l’intérêt. Alors les avancées sont saluées et des exigences sont également posées. La Présidente de la CNDP regrette une régression des textes législatifs et réglementaires sur la démocratie participative, et particulièrement de l’enquête publique. Chantal Jouanno rappelle aussi la pertinence de l’indépendance de la CNDP et que la crédibilité de la participation repose sur la confiance et sur la redevabilité. Elle invoque un « droit à la réponse » des citoyens en rappelant que la CNDP l’a d’ores et déjà instauré dans ses procédures. Dans le même sens, des acteurs du secteur revendiquent la création d’un “statut du participant” afin de favoriser la reconnaissance des citoyens engagés dans ces démarches. Son intervention devient plaidoyer pour une meilleure prise en compte des contributions citoyennes dans la décision finale, à l’heure où l’on ne sait toujours pas si les 150 contributions de la Convention citoyenne sur le climat vont permettre de réorienter concrètement la politique du Gouvernement en matière de transition écologique, sociale et démocratique.

Beaucoup de participants reviennent en effet sur cet exercice inédit qui est à la fois une voie possible de relégitimation de la démocratie représentative par la démocratie participative, mais comporte aussi le risque de discréditer de la profession, en cas d’abandon officiel des mesures issues du dispositif. Ce modèle de panel représentatif tiré au sort est néanmoins repris et plusieurs élus annoncent sa déclinaison à l’échelle municipale, comme à Grenoble autour de l’enjeu de la gestion de la crise de la Covid-19. Parmi les innovations démocratiques présentées, la Ville de Poitiers a annoncé également la création d’une assemblée citoyenne de 150 citoyens, ainsi que d’un droit d’initiative locale et un jury citoyen sur les enjeux du numérique sur le territoire après la conférence citoyenne sur la 5G.

Côté territoires, un groupe de 13 agents propose un “Manifeste des métropoles participatives”, où l’on retrouve le souhait de renforcer l’animation démocratique et citoyenne de cet échelon encore trop éloigné des citoyens, en associant en continu les parties prenantes, incitant au faire ensemble, favorisant le pouvoir d’agir des citoyens, etc. Pour cela, la communauté désormais structurée d’agents, prestataires, associations, collectifs, chercheurs de la participation constitue pour les métropoles une ressource considérable qui doit permettre l’amplification des initiatives.

Côté entreprises, GRDF invite à davantage de concertation dans les entreprises et rapporte sa démarche interne de comité d’ambassadeurs clients pour partager les retours et co-construire les solutions. Au quotidien, Catherine Leboul Proust, Directrice de la stratégie, ajoute qu’elle fait de la concertation “à tous les étages, en soumettant nos projets stratégiques aux parties prenantes ».

 

Le Monde d’après… les consultations citoyennes en ligne

 

En plein contexte de crise, cette édition met un coup de projecteur sur la démocratie sanitaire, avec d’intervention de Jean-François Delfraissy, Président du Conseil scientifique Covid-19, qui revient sur le fonctionnement de cette instance conçue pour éclairer le gouvernement dans ses décisions. Il insiste sur la nécessité d’y adjoindre un comité citoyen pour plancher sur la mise en œuvre des mesures et le rôle des citoyens dans la gestion de la crise. Tous les participants sont unanimes : le confinement a été un moment riche d’initiatives participatives, avec de nombreuses démarches en ligne pour proposer des espaces d’échanges sur le “Monde d’après” (à l’instar notamment de « Notre nouvelle vie », déployée par bluenove). Parmi les prises de parole, Make.org porte l’ambition de créer des coalitions de citoyens à travers des espaces de discussions en ligne, mais aussi d’actions avec la création d’un fonds de dotation dédié.

Cette prédominance du numérique dans la concertation fait rejaillir une ambivalence qui divise la communauté. En effet, le digital représente une aubaine pour aller chercher de nouveaux publics mais peut être également facteur d’exclusion. La coopérative des acteurs de la médiation numérique – la Mednum rappelle que 13 millions de personnes ont besoin d’une connexion, de matériel, d’accompagnement dans leurs usages, voire des trois – et invite au renforcement des liens et échanges avec les acteurs de la participation. Plus globalement, l’inclusion des publics éloignés est une problématique récurrente chez les professionnels. Pour y répondre, les témoignages du Samu social de Paris et du Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de Saint Jean de Braye (45) recensent les ingrédients à rassembler : confiance de (et dans) l’institution, accompagnement par les pairs, libre choix d’expression et d’action… Ils soulignent les bienfaits considérables qui en découlent : les personnes vulnérables se sentent prises en compte, retrouvent du sens, du lien, de l’écoute, etc.

 

Finalement, même si je n’aurais pas eu l’occasion d’échanger des “check de coudes” avec mes camarades concertants, cette édition pour moi 100% à distance des RNP a rempli ses objectifs : continuer à nourrir ma passion pour le partage et les débats, me rebooster pour affronter cet hiver de télétravail confiné, me rappeler qu’il ne faut pas trop verser dans le “méthodologisme” et veiller à rester alignée sur l’essentiel : améliorer le quotidien des gens. Alors, merci et à l’année prochaine les RNP !