Les coulisses du Hackathon Skema 2021 : la transformation de la pédagogie dans l’Enseignement Supérieur (1/2)

Le hackathon Skema 2021 s’invite à la table des innovations pédagogiques de nouvelle génération tant par l’ambition du sujet qu’il a choisi d’adresser (les organisations inclusives) que par les modalités d’intelligence collective massive mises en place pour accompagner les 780 étudiants de la promotion de Licence 3 du Programme des Grandes Écoles. Voici les coulisses d’une expérience invitant les étudiants à phosphorer sur une thématique sociétale majeure : l’inclusion.

La première partie de ce retour d’expérience offre une perspective subjective des coulisses du hackathon sur les organisations inclusives , tandis que la seconde partie tentera de décoder les bonnes pratiques inspirées par ce cas unique pour favoriser l’émergence de nouvelles dynamiques d’intelligence collective dans l’éducation supérieure (voir l’article ici) .

En trame de fond, une question fil rouge traverse l’ensemble de cet article : peut-on décrypter les composantes d’un modèle opérationnel pour innover grâce à l’intelligence collective massive dans l’enseignement supérieur ?

L’enjeu est de réussir à aller au-delà d’un exercice de style, d’un vœu pieux ou de la belle histoire. Notre équipe reste humble et cet article n’est que le témoignage d’artisans et d’activistes de l’intelligence collective. NDLR : Il est parfois certaines missions qui nous animent dans le fond et dans la forme, tant par les promesses d’innovation démocratique qu’elles portent, que par les nouvelles contrées qu’elles nous permettent de fouler, ou encore par les idées qu’elles autorisent à faire germer. Le Hackathon Skema adopte les traits d’un futur optimiste pour l’intelligence collective.  

I. Présentation du Hackathon 2021 de Skema Business School sur les organisations inclusives 

Avoir du succès quant à l’orchestration de la fougue et de l’effervescence de 780 étudiants pendant une semaine complète sur une thématique sociétale est un art auquel l’équipe pédagogique du Hackathon Skema s’adonne avec curiosité, audace et pragmatisme.

Oubliez les piscines des écoles d’informatique, ou les séminaires d’intégration historique, Skema met sur les rampes de sa rentrée une semaine (5 jours et 4 soirées) de hackathon pour ses brillants esprits. Ils peuvent ainsi faire connaissance pendant des activités de design-fiction, des débats, des sessions d’idéation ou des productions de vidéos, afin de proposer des solutions sur l’inclusion au sein des organisations.

Dans un premier temps, il est utile de décrypter l’expérience qui est proposée aux étudiants de L3 pour leur rentrée académique afin de comprendre comment les dynamiques d’intelligence collective peuvent donner des résultats sur un temps court.

Inspiré de la méthodologie du design sprint, le hackathon Skema va adopter une cadence d’animation quotidienne, tout en alternant entre les plages d’autonomie pour les étudiants et des moments clés de la journée pour se retrouver. L’événement accompagne progressivement les étudiants à prendre du recul sur la thématique à la fois par des interventions d’experts externes à l’École de commerce ou par des modalités de réflexions laissant la part belle à l’esprit pirate.

    • Avant le Hackathon : Définir & Témoigner, le module Flash pour une consultation invitant à définir les concepts qui seront manipulés pendant la semaine, à réfléchir au rôle des entreprises quant à l’inclusion, et également à une phase d’introspection invitant au témoignage.
    • Lundi : Inspirer & Rêver, le module employé est celui dédié au design-fiction.
    • Mardi : Questionner & Débattre, le module utilisé est celui dédié à la conversation et aux débats d’idées.
    • Mercredi : Explorer, le module déployé est le HUB et plus particulièrement son centre de ressources.
    • Jeudi : Prototyper, le module mis en œuvre est celui permettant le dépôt de vidéos et de fichiers de la part des équipes.
    • Vendredi : Présenter, Voter & Célébrer, les votes seront animés via une solution en ligne de priorisation.
    • Après le Hackathon : Évaluer et Reconnaître, le module Flash est une consultation de clôture permettant une évaluation à spectre large des étudiants sur les apprentissages de la semaine, leurs étonnements et prises de conscience. 

Peut-on organiser un hackathon sans développeur de logiciel ?

Bien que certains étudiants aient prototypé en formule No-Code des applications pendant la semaine, certains puristes ont légitimement demandé : « Le hackathon est-il réellement un hackathon ? »

Historiquement le hackathon est né de manière confidentielle sur les campus universitaires américains, ce n’est donc qu’un simple retour aux sources que de déployer cette méthodologie dans un cursus. Phénomène ou tendance événementielle il y a quelques années, le hackathon, contraction de marathon et de hacker (piratage ou programmation astucieuse de code informatique), s’est exporté hors des locaux des entreprises de développement web pour venir booster les programmes d’innovation des grandes entreprises. Désormais, il est entré dans la sphère civile, ainsi il s’invite dans les programmations de nombreuses causes sociales et solidaires, où il permet le temps d’un week-end d’explorer de nouveaux terrains de jeux pour les bricoleurs 4.0, les entrepreneurs en herbe ou slasheurs à la recherche d’une expérience authentique (le ActinSpace, le Hacking Health Camp …).

Le hackathon est devenu « mainstream », tant notre culture numérique a évolué auprès des jeunes générations, ce format est d’autant plus adéquat quand il concerne les sujets de culture d’entreprise. Par extension, une transformation sur les pratiques liées à l’inclusion au sein des organisations est culturelle avant d’être technologique. En effet, c’est l’esprit du hacker qu’il est important de cultiver auprès des étudiants d’une Grande École de commerce : « l’ouverture, le partage, la défiance vis-à-vis de l’autorité, et la nécessité d’agir par soi-même, quoiqu’il en coût pour changer le monde ».

La clé de l’innovation n’est pas uniquement l’hybridation de méthode du sprint et de la culture du hackathon, elle repose davantage sur la synchronisation des dynamiques permettant la génération de nouvelles connaissances sur un temps court par une population de plus de 750 participants.

II. Les temps forts du Hackathon Skema 2021 sur les organisations inclusives : hacker l’inclusion en entreprise pour éduquer à la citoyenneté

Les liens étroits entre l’éducation et la citoyenneté sont habilement mis en scène à travers les thématiques sous-jacentes de l’inclusion. Est-ce que le hackathon sur les organisations inclusives permet de former des citoyens éclairés ? En excluant les relais pédagogiques classiques, la semaine organisée par Skema mobilise sur différentes mailles une collaboration massive (les étudiants, les équipes, les campus, la promotion, l’École) , et elle orchestre l’appropriation de concepts complexes, tout en donnant du sens et de l’enthousiasme aux étudiants face à un défi sociétal.

1. Avant le hackathon : le relais pédagogique de la consultation préalable

Afin de préparer les étudiants à manipuler des concepts théoriques, nous avons créé un sas d’appropriation, d’une part un site web (le module HUB) regroupant des articles, des vidéos et les ressources élémentaires présentant le hackathon. D’autre part, une consultation qui leur a mis un pied à l’étrier. Elle les a invités à travers une quinzaine de questions ouvertes à proposer leurs définitions des concepts liés à l’organisation inclusive. Outre l’interrogation sur des définitions scolaires, l’enjeu a été de leur donner les pistes leur laissant construire une première opinion sur le rôle des entreprises vis-à-vis de l’inclusion, les priorités pour les managers ou encore les complexités sur les postures d’exemplarité.

Exemple de question ouverte et de son analyse par notre solution Assembl Flash : Question 6 « Selon vous, quelles sont les difficultés rencontrées par les entreprises sur le sujet de l’inclusion ? »

Pendant cette phase introductive, les étudiants ont proposé environ 25.000 verbatim analysés en l’espace de trois jours grâce à nos algorithmes supervisés par nos consultants. De ces réponses, nous avons traduit une vision pragmatique et un fort niveau de conviction de la promotion.

La consultation est une modalité de choix lorsqu’il s’agit de sensibiliser un collectif à des sujets qui recouvrent des réalités variées et des perceptions multiples. À travers le protocole de questions, nous pouvons accompagner la réflexion du participant progressivement pour l’aider à identifier les contours d’un sujet, ces problématiques ou permettre de partager une expérience. L’intelligence générée par les réponses aux questions constitue une première étape de conscience collective.

Le défi pédagogique pour l’équipe en charge de l’événement est de réussir à faire progresser cette conscientisation profane vers une expérience pédagogique engageante.

2. Jour 1 : le relais pédagogique du design-fiction « l’organisation inclusive : l’imaginer et la raconter »

À la suite d’une première journée de hackathon rythmée par des interventions inspirantes d’anciens de l’école et de spécialistes (INRIA sur les biais algorithmiques), les étudiants sont invités en équipe à se projeter dans le futur des organisations en imaginant une fiction où l’inclusion a une place centrale. Dans les grandes lignes, nous mettons en place une animation Bright-Mirror qui leur donne le champ libre pour créer des futurs inclusifs.

Plateforme Bright Mirror pour le Hackathon Skema

Exemple d’amorce proposée :

  • « Nous sommes le 13 septembre 2041, vous êtes Directeur de l’inclusion, décrivez votre journée / semaine«

En l’espace de quelques heures, les imaginaires s’invitent à l’agenda, les étudiants vont profiter du design-fiction pour faire connaissance, s’écouter, co-construire une vision du monde en 2041. La méthodologie présente de nombreux avantages : elle offre une plateforme d’hypothèses culturelles sans filet, elle invite à la digression, c’est le moment d’utiliser des cartes joker pour créer des situations improbables… À la fin de la journée, plus de 180 fictions sont partagées en ligne avec chacune leurs protagonistes, leurs univers, leurs succès et des propositions qui donnent envie de voir ce que l’inclusion peut offrir comme opportunités.

Le design-fiction est une excellente manière de pirater les narratifs sur le futur du travail, il permet d’incuber à grande échelle des transitions profondes. Pour mettre en évidence ces dernières, l’analyse des arcs narratifs des fictions s’effectue comme suit :

  • les situations initiales répondant à la question : que faut-il changer en matière de pratiques liées à l’inclusion ?
  • les déclics correspondant à la question : comment faut-il changer les pratiques liées à l’inclusion ? ;
  • et les concepts-solutions adressant la question : quelles actions mettre en place ?

L’algorithme propriétaire d’analyses sémantiques sera utilisé pour comprendre les catégories et les fréquences des concepts proposés dans les fictions (384 analysés), les tendances lourdes et les signaux faibles.

Une sélection des fictions marquantes

Bienvenue à Inklusia ! : une utopie futuriste dans un monde totalement inclusif.

Blue Lives Matter : un futur qui ne connaissait plus les discriminations, une maladie qui rend les gens bleus devient un nouveau combat pour l’intégration des victimes de cette maladie, inspirations ancrées dans l’actualité intéressante.

Une entreprise cinq étoiles all inclusive : le discours de départ à la retraite d’un « homme désuet », qui décrit les changements en faveur de la diversité dans l’entreprise et la société avec le point de vue opposé.

Le design-fiction est une modalité puissante, car elle est multifonctionnelle :

  • outil de créativité et de divergences qui permet de s’affranchir des contraintes (techniques, culturelles, organisationnelles, juridiques, biologiques …) ;
  • outil de co-construction et d’improvisation qui s’inspire des ressorts narratifs fictionnels et permet à chaque membre de contribuer selon sa sensibilité et son univers culturel ;
  • enfin, le corpus des narratifs adopte un caractère performatif en donnant les outils à la jeunesse pour l’inciter à construire un futur optimiste.

 

3. Jour 2 : les relais pédagogiques de la problématisation et du débat

Fort des résultats de la consultation, un espace de débats est créé, il permet l’approfondissement des questions, des dilemmes, sujets liés à l’inclusion.

Les étudiants ont une journée pour définir et affiner les problématiques liées aux organisations inclusives. Ils vont les élaborer en équipe et par la suite les approfondir avec l’ensemble de la promotion en utilisant le module de débat.

Un système de gamification est mis en place pour encourager la curiosité, l’argumentation et le soutien des problématiques des autres équipes, les points sont attribués sur des réactions critiques (commentaires, désaccord, scepticisme). La priorité est d’assurer la variété des opinions et de créer un espace bienveillant pour que les participants exercent leur esprit critique.

Toutefois, pendant la semaine de rentrée et il est difficile d’obtenir des opinions pleinement critiques ou réactions polémiques à ce stade.

 

L’analyse des problématiques s’effectue en deux temps, d’une part selon leurs performances : nombre de réactions reçues, commentaires, profondeur des discussions; d’autre part selon leurs qualités didactiques.

La phase de problématisation est de plus en plus critique dans le succès d’un projet, la capacité à adresser la bonne problématique orientera manifestement les conclusions.

Aussi, il est particulièrement important de ne pas confondre la phase d’idéation et de problématisation, les 350 problématiques qualifiées par l’analyse dressent les caractéristiques élémentaires d’un problème :

  • il doit être réel : il est accompagné de faits et de preuves, de témoignages … ;
  • il crée un déséquilibre manifeste : il est illustré par une tension négative dans les expériences, les situations, un décalage explicite … ;
  • il nécessite de nouvelles connaissances pour être résolu.

Enfin, les problématiques qui attirent le plus de réactions et de soutiens sont claires et actionnables :

  • Qui a le problème ? (cible identifiable)
  • Quand est-ce que le problème arrive-t-il ? (temporalité immédiate)
  • Pourquoi est-il important de résoudre ce problème ? (priorité manifeste)
  • Comment la résolution de ce problème va créer un impact positif ? (impact)

 

4. Jour 4 : le dépôt des idées, le relais pédagogique de la production vidéo

 

L’ensemble des projets élaborés par les campus sont partagés sur la plateforme sous format de présentations et de courtes vidéos.

L’équipe pédagogique a fait un excellent choix en hybridant un sujet complexe et le format décomplexé de la vidéo. La dextérité digitale est différente selon les étudiants de la promotion (de la maîtrise du cadrage, story-board, montage, utilisation de séquences libres de droits …), mais l’ensemble des clips produits en moins de 48 heures sont inspirants, drôles et incarnés.

Ainsi, les 180 vidéos deviennent une ressource à part entière, elles cristallisent les questions, les ambitions et les solutions souhaitées en 2021 pour répondre aux défis des organisations inclusives.

 

Témoins précieux des transformations à venir en matière d’inclusion, les vidéos réalisées sont les artefacts culturels d’une génération à l’aube de sa vie professionnelle. La capacité à raconter le futur, dresser les lignes d’un prototype, créer un film qui défend des convictions ou mettre en scène des aspirations sont des savoir-faire dont les organisations ont crucialement besoin.

 

 

Héritiers de Netflix et Instagram, les étudiants de la Licence 3 s’emparent sans tergiverser de ces nouveaux médias pour débattre, co-créer, interpeller, fédérer … préparer l’organisation inclusive de demain.

Le succès de cette production massive de vidéos inspire quant à la mise en place d’espaces et de plateformes d’expressions au sein des organisations et des écoles afin de capitaliser sur les compétences de la génération TikTok. NDLR : Il est rassurant de constater que les slides ne sont pas le meilleur véhicule pour incarner l’esprit pirate.

5. Après le Hackathon : la consultation de clôture pour prendre du recul

Pour comprendre la valeur pédagogique du hackathon, les étudiants sont consultés trois semaines après dans l’optique de partager leurs apprentissages, leurs étonnements et de manière plus holistique, leurs prises de conscience.

En synthèse, à travers les 6000 verbatim, deux natures d’apprentissages ont été mises en avant par les participants :

  • sur le fonds : une sensibilisation au sujet et à ses conséquences
  • la meilleure connaissance des notions tout au long de la semaine ;
  • la prise de conscience de l’étendue du sujet, du nombre de personnes exclues ;
  • la réalisation de leurs propres biais : certains se sont interrogés sur leurs propres cheminements intellectuels.
  • sur la forme : le travail de groupe et l’apprentissage du temps court
  • le travail d’équipe avec des personnes ayant des opinions ou sensibilités différentes ;
  • la découverte de la démarche entrepreneuriale : poser un problème et trouver une solution, gérer un projet ;
  • les compétences techniques : montage de vidéos, conduction d’entretiens…

Pour conclure, la prise de conscience s’articule d’une part à travers la meilleure compréhension et sensibilisation aux sujets de l’inclusion, et d’autre part autour du développement d’une volonté d’agir.

La consultation de clôture confirme que le hackathon a été une modalité d’apprentissage en tant que telle. Cet évènement repose sur une ingénierie importante et une animation soutenue. Les chiffres clés du hackathon :

« La collaboration pédagogique avec bluenove et l’accès à la plateforme Assembl et à ses modules a permis aux étudiants d’exprimer leurs opinions, leurs questions, de partager leurs expériences et de débattre de manière transparente et constructive. Vecteur d’inclusion, le numérique offre en effet à chacun la possibilité de s’informer, d’interroger et de proposer des solutions de manière ouverte. Les étudiants ont ainsi pu, grâce à ces outils numériques, plonger directement dans le vif du sujet quelques jours avant le début du Hackathon, mais aussi se projeter dans le futur en imaginant l’organisation inclusive en 2041 et co-construire, ensemble et via un débat en ligne, les grandes problématiques à résoudre. Ces différents exercices ont permis aux étudiants d’être complètement immergés dans la thématique pendant plus d’une semaine et de co-créer ensemble de nouvelles solutions pour les organisations inclusives de demain. » Marine Hadengue, Assistant Professor à SKEMA Business School

Est-il néanmoins possible de produire des résultats similaires quant à l’engagement des étudiants et le socle de connaissances créé dans d’autres temporalités, d’autres modalités et pour d’autres sujets ? Que peut-on réutiliser comme bonnes pratiques pour favoriser l’innovation pédagogique de nouvelle génération ?

Consultez la seconde partie de l’article ici !